La Criée

Performance, scénographie, vidéo, son, écriture, récolte de récits, réemploi

Juillet 2019, Noirmoutier
Résidence artistique avec Aubin Crestani, Marie Champain, Fanny Zalema et Darius Dolatyari-Dolatdoust


Pendant deux semaines, Terrains Vagues parcourt l’île de Noirmoutier à la recherche de ses histoires et mémoires collectives. Un peu comme un jeu de l’oie, avec comme point de départ le grand-père d’Amandine. L’équipe de glaneur·euses se déplace du banc public le plus fréquenté au bar le plus excentré du bout de l’île. L’équipe manifeste sa présence au marché, goise sur les plages de l’île, en passant par les archives municipales qui leur fera vivre encore d’autres péripéties. Grâce aux récits des habitant·es, une intrigue fictive se construit et une mise en scène s’écrit : l’histoire de notre voyage en radeau jusqu’à l’île voisine du Pilier. La nouvelle est criée au marché et la rumeur se répand : un groupe de joyeux·ses lurons construisent un radeau pour la traversée jusqu’au Pilier ! Lors du spectacle de fin de résidence Terrains Vagues joue son retour de l’île accompagné de ces multiples découvertes. Entre performance, sons et vidéos, le spectacle sème le trouble entre fiction et réalité.

Filage du spectacle

nota bene : toutes les actions se déroulent simultanément

Le public est accueilli sur un fond de ciel rosé où le soleil se fatigue. Iels sont guidé·es par des crieur·euses sur le chantier du radeau où trône au-dessus de tout ce fatra, un conteur perché.

A peine a-t-il fini d’énumérer les quêtes des récolteur·euses de récits de Terrains Vagues, qu’à l’autre bout du blockhaus, un joueur de saxophone nous fait croire à l’arrivée d’un navire.

Les deux regardent vers l’Océan et accompagnent les spectateur·ices qui aperçoivent le radeau en provenance de l’île du Pilier. Après l’amarrage collectif, aidé en grande pompe par les spectateurs,, leur récit est rapporté, captures audio et vidéos à l’appui.

Un goéland danse et s’affole à leur arrivée : ses œufs ont été volés pour cuisiner une omelette sur les conseils du gardien du phare… Lectures et danses avec les filets de pêche s’enchaînent et s’achèvent joyeusement et en chant par un pastis partagé avec les spectateurs : sur l'île du Pilier, il y avait toujours une bassine de pastis collective, autour de laquelle bourgeois·es et petit·es pêcheur·euses festoyaient ensemble.

Texte d’ouverture du spectacle

24 juillet 2019, 21h, Blockhaus de la Guérinière

Le conteur perché :

« Enfin, ils ont réussi à partir... Ces dix jours préparatoires n'étaient pas de trop. Et puis tout ça pour analyser des lapins potentiellement atteints de la myxomatose, qu'une gamine dit avoir vu avec son grand-père il y vingt ans... J'y crois pas... Tu ajoutes aussi cette histoire d'amazones, contée par de potentiels marins frustrés. Schéma assez classique : des femmes, rousses de surcroît, qui viendraient forcer des soiffards à les féconder, à la sortie du rade et à marée basse, jetant les petits mâles à l'eau et gardant les femmes de feu pour perpétuer la tradition.

Heureusement qu'on a pu demander à tous ces gens du coin, qui avaient l'air plus conscients des dangers de la mer que nous, vulgaires marins d'eau douce que nous sommes. Très aidants, les îliens, qui se connaissent tous et aiment le dire, nous ont ballotés dans les quatre coins de Noirmout. Un Daniel pêcheur nous envoie au casse-poï, direction la Bosse. On nous a prévenu. Avec eux, c'est l'histoire de la mouche, filmée régulièrement par FR3 : un gars montre l'aiguille de l'horloge, “hé ! Tu la vois donc ?” et l'autre de répondre “non je la vois pas, mais j'l'entends bzounère !”

Comme ça, on l'sait ! Bref, au Cadillac, rade thématique Johnny, non content de rouler des parigots dans la farine, on nous explique qu'aller là bas, c'est trop facile, parce qu'un type l'a déjà fait... à la nage, et avec un bras ! Véritable qu'ils disent. Et puis s'il faut vérifier, on a qu'à aller vers les huîtres, parait que le mec en vend toujours ! Mais c'est pas tout, ils nous parlent d'un photographe qui a l'air d'avoir pignon sur rue : un Pottier avec deux "t". Sans cacher notre naïveté, on ouvre l'annuaire de la ville : “doit bien y avoir son numéro !” En effet, Michel Potier, un "t" est référencé et on s'empresse de l'appeler. Cependant son "t" unique nous renvoi vers une autre dame, qui, par un hasard tout noirmoutrin, connaît l'autre. Et c'est même pas fini ! On avait eu un seul son de cloche : “allez au château, c'est là où sont les amis de l'île, qui, eux, savent.” On s'empresse de le faire. Et là, une sympathique dame nous ouvre les portes des archives. La même qu'on avait eue plus tôt ! C'est à n'y rien comprendre... Aux archives, ambiance austère, récits de naufrages et chants de marins à l'appui. On sort les bouquins, les sachantes nous expliquent, des photocopies sont faites.

Finalement c'est un dernier zig, fana de notre destination qu'on doit rencontrer. Rendez-vous pris, c'est après une demi-heure de discussion qu'on aperçoit que l'on est tombé sur le plus bavard de l'île. Véritable guet-apens, le mec nous livre une histoire globale, de l'origine de l'homme selon Darwin aux cérémonies militaires contemporaines, en passant par le sombre passé de la côte Atlantique, traite négrières, purée de fèves, argent sale et consort. On sort sonné, mais raffermit : ça va le faire, on va y aller.

Dans un même temps, un radeau est bricolé. Le chaland passe sur le chantier naval, donne un bidon, une fenêtre ou une latte de plancher en espérant que ça serve à quelque chose. Les pros des Îlots viennent pour nous mettre une pichenette derrière l'oreille. Ils nous apprennent le nœud de cabestan, le principe de la dérive et le serrage de bout à l'arbalète qu'on avait laissé au temps de la classe de mer de CM2. Les plus téméraires d'entre-nous vont hurler au marché notre départ, vantant des capacités de navigation qu'on a évidemment pas. La maréchaussée crise un peu, emmerdée par la chaleur plombante et s'imaginant qu'on va empêcher la vente du sel et de sa fleur, fierté locale, avec deux/trois annonces.

Bon, on a quand même compris un truc. C'est à marée descendante qu'il faut partir, et puis faut pas un pet de vent, histoire qu'on se retrouve pas à l'île d'Yeu. Aujourd'hui, c'était à 9h25 qu'elle était la plus haute, c'est dans ces eaux matinales là que je les ai laissés, une caméra au poing et une boîte de sardines en poche. Il est maintenant 21h, ils ont intérêt à se pointer, déjà qu'il y avait pas assez de place pour tout le monde. »